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Roman

Le bûcher de Moorea de Patrice Guirao

J’aime de plus en plus les thrillers qui me font voyager. Que ce soit les polars scandinaves, asiatiques ou de partout ailleurs, en ce moment j’y trouve mon compte. Alors quoi de plus dépaysant qu’une histoire de meurtres à l’autre bout du monde en Polynésie Française ?

Pour cette chronique, on embarque à Moorea, une petite île à côté de Tahiti. Même dans les endroits les plus reculés du globe, le Mal arrive toujours à se frayer un chemin.

4ème de couverture

Dans le lagon de Moorea, les eaux calmes et bleues bercent quelques voiliers tranquilles. Les cocotiers dansent au vent. Les tiarés exhalent leur parfum. Pourtant, à l’abri de la forêt, des flammes se fraient un chemin vers le ciel. Lilith Tereia, jeune photographe, tourne son appareil vers le bûcher. Devant son objectif, des bras, des jambes, des troncs se consument. Et quatre têtes.
Pour quels dieux peut-on faire aujourd’hui de tels sacrifices ? Avec Maema, journaliste au quotidien de Tahiti, Lilith est happée dans le tourbillon de l’enquête. Les deux vahinés croiseront le chemin d’un homme venu de France chercher une autre vie. Un homme qui tutoie la mort.

Derrière chaque paradis, il y a un enfer. Bienvenue en Polynésie ! 

Sur la plage abandonnée…

A peine quelques pages et j’avais plongé dans l’ambiance des cocotiers. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce roman est complètement immersif. Les lagons bleus, la petite brise de l’océan, les rites et coutumes tout est retranscrit avec énormément de fidélité. Normal me direz-vous puisque l’auteur vit depuis l’âge de 14 ans dans cette région paradisiaque du globe. L’auteur a d’ailleurs eu l’excellente idée de mettre de nombreux mots en tahitien dans le texte tout en nous proposant un petit glossaire à la fin du livre. Pour l’immersion c’est vraiment le top du top.

Ce décor de carte postale c’est bien joli, mais vous allez me dire : ils sont où les cadavres ? Dès les premières pages, les corps de 4 touristes sont retrouvés démembrés, calcinés dans un immense bûcher sur l’île de Moorea. La police et bien… elle fait avec les moyens du bord. La réponse de la Métropole c’est « Débrouillez-vous ». Mais finalement, ce n’est pas tant la police qui nous intéresse pour résoudre cette enquête. Lilith et Maema, deux jeunes journalistes vont porter cette histoire avec une force incroyable.

Le danger vient d’ailleurs

Lilith est une jeune femme libre, forte et assumée. Si à première vue ses tatouages, notamment au visage, peuvent effrayer, on se rend vite compte que c’est une fille exceptionnelle. Elle travaille comme photographe pour le journal local et fait équipe avec Maema, une petite bonne femme un peu rondelette, toujours de bonne humeur malgré une tumeur sournoise qui lui ronge le cerveau. Très vite, les deux coéquipières seront affectées sur l’enquête du bûcher de Moorea. Le duo fonctionne vraiment très bien. Tout sonne très juste, aussi bien au niveau des dialogues, que des descriptions. Comme elles, on ne se pose qu’une question : Qui peut être capable de telles atrocités dans ce lieu si calme ?

Mais le massacre de Moorea n’est pas la seule intrigue de ce roman. A des milliers de kilomètres de là, Nael entre en piste. Nael est un tueur. Un tueur froid, méthodique. Il se présente comme un artiste de la mort mettant en scène des crimes aussi variés que sordides. La multiplicité de ses méthodes a réussi à brouiller les pistes et il échappe toujours à la police même après des dizaines de victimes. Mais, un soir, tout bascule. Alors qu’il est en train d’achever une petite grand-mère ayant croisé sa route, il tombe sur le cadavre d’Arianne, son ex femme. Dans sa main, une photo de lui à ses côtés, sous les cocotiers, à Moorea. Mais Nael n’a aucun souvenir de ces moments, de cette vie. Il prend alors l’avion, direction la Polynésie, en quête de réponses.

Les chapitres vont ainsi alterner entre l’enquête de Lilith à Moorea et l’histoire de Nael… jusqu’à ce que les deux récits se percutent…

Aux frontières du réalisme

Je fais rarement de chroniques en 3 parties, mais il fallait que j’aborde un aspect particulier du roman. Pour lire Le bucher de Moorea, il faut parfois avoir l’esprit très ouvert. Pour être claire, Nael est barré, mais vraiment complètement barré. Il ne sait pas qui il est. Il doute de son identité, de sa vie, de son histoire. On atteint un point culminant de l’impossible lorsqu’il se met à converser avec un animal et que celui-ci lui répond. Tout au long du roman, on écoutera Nael converser avec ce compagnon improbable.

Personnellement, cela ne m’a pas ni gênée ni choquée. Après tout c’est un tueur, un psychopathe. Il peut très bien avoir des hallucinations, entendre des voix et tout simplement imaginer cet espèce de « Jiminy Cricket » qui se balade à ses côtés. Cependant, je sais que certains lecteurs ont fait un blocage sur cet aspect surréaliste du récit. C’est vrai qu’on frôle presque le fantastique. Alors, pour ceux qui ne veulent que du réalisme pur et dur, la pilule aura peut-être un peu de mal à passer. Moi, j’ai préféré ouvrir mes chakras et accepter cette tourne assez inattendue de l’histoire.

« Pleure, ma belle. Pleure. Les larmes sont comme des tempêtes : elles sont effrayantes mais elles purifient. Elles emportent avec elles la peur. Et avec la peur s’en va la souffrance. »

En bref

La bonne nouvelle, c’est que je passé un moment de lecture extrêmement agréable. La mauvaise, c’est que maintenant j’ai envie de prendre l’avion pour Moorea et que je vais être obligée de vendre un rein. Parce qu’en quelques lignes, mon esprit était déjà parti à Tahiti. J’ai tout aimé dans ce roman : le dépaysement, les personnages (mention spéciale à Lilith, force majeure de cette histoire), les différents arcs du récit, la réalité de la situation politique et économique de l’île, tout. La plume de Patrice Guirao est très douce, poétique et travaillée. L’écriture est très riche tout en restant fluide et on se laisse porter tout doucement par l’intrigue. Le dénouement est peut être un peu trop rapide à mon goût mais il n’enlève rien à la qualité exceptionnelle de ce thriller.

A défaut de pouvoir prendre l’avion vers les récifs de corail, je vais sagement attendre la prochaine enquête de Lilith et Maema prévue pour le mois de janvier 2020 toujours dans la collection La Bête Noire des éditions Robert Laffont.