Roman

Miracle de Solène Bakowski

Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand on sait qu’ Anaïs et Jen ont dû sortir les mouchoirs, ça pose les bases. On parle de nanas qui aiment les thrillers avec de la tripaille, du trash, du violent. Donc forcément, j’ai commencé ce roman en me demandant comment j’allais réagir. Est-ce que moi aussi, j’allais tomber dans le filet émotionnel de cette histoire ? Rares sont les livres qui ont réussi à vraiment me mettre mal à l’aise ou à vraiment malmener mes émotions. J’étais perplexe et impatiente à la fois. Alors est ce que ce roman a eu raison de mon coeur blindé de lectrice de polars ?

4ème de couverture

La vie de Laure, vingt-et-un ans, s’écroule lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur incurable au cerveau. Les médecins sont formels : la jeune femme est condamnée. Mais Laure est une battante, et grâce aux réseaux sociaux, récolte des fonds pour se lancer dans un projet fou : celui de traverser l’Atlantique en solitaire. Très vite, les internautes se prennent de passion pour cette jeune malade que d’aucuns voient comme une héroïne des temps modernes. Elle est invitée sur les plateaux de télévision, son périple est suivi sur YouTube par des centaines de milliers d’abonnés. Adulée, elle devient un symbole d’espoir et un modèle de courage. Dans sa course contre la montre, Laure pense avoir trouvé un sens à sa vie, mais une question parmi d’autres se pose : quel est le prix d’un miracle ?

Conduite pied au plancher, Miracle est l’histoire aux rebondissements en rafale d’une chute libre dans l’enfer des réseaux sociaux, qui va emporter Laure au cœur de la nuit, loin, beaucoup trop loin… Là où le lecteur n’a plus de répit.

Au bout de l’émotion

Dès le premier chapitre, j’ai senti que, pour moi aussi, cette lecture n’allait pas être de tout repos. Il en faut pour me chambouler pourtant, mais là après seulement une dizaine de pages, j’ai eu besoin de faire une première pause. Je me sentais oppressée, j’avais presque du mal à respirer. Au-delà des résonances personnelles avec le milieu médical que j’ai ressenti, c’est la plume de l’auteure qui m’a véritablement glacé le sang. A la fois poétique et ferme, elle nous raconte les faits de manière tranchante et nous insuffle les émotions avec une humanité incroyable.

Après ma petite pause, j’ai repris le livre, j’ai poursuivi ma lecture. Ce tourbillon d’émotions ne s’est jamais arrêté et j’ai dévoré ces 400 pages avec un noeud dans la gorge, parfois une larme au coin de l’oeil et souvent une rage sourde. Miracle c’est avant tout un constat. Un constat sur la manière qu’a notre société de traiter les faits et les évènements via les réseaux sociaux. A 21 ans, Laure n’avait pas prévu de mourir, elle n’avait pas prévu qu’une tumeur cérébrale viendrait gâcher la danse de sa vie.

Les réseaux sociaux sont friands de ce genre d’histoires, les gens aiment avoir des causes perdues à défendre bien gentiment derrière leur écran. Parfois, ils sont même les premiers à permettre l’impensable, à réaliser des rêves. Comme celui de Laure, de traverser l’Atlantique en solitaire, avant que le cancer ne l’emmène. Mais Facebook, Twitter et tous les autres, ce sont aussi le Mal incarné, un rassemblement de personnalités pathétiques bien planquées derrière leur clavier. Des personnes souvent insignifiantes à l’indignation facile, qui pensent se trouver un semblant d’importance sur internet. Sans parfois se rendre compte qu’elles peuvent détruire des vies.

Twitter je te hais

Solène Bakowski ne joue pas dans le pamphlétaire. Elle ne condamne pas. Elle expose seulement une réalité de tous les jours : la dérive des réseaux sociaux. Cet empire impalpable qui peut apporter le meilleur, le plus noble, mais aussi le pire, le plus dégueulasse. L’auteure a eu la très bonne idée d’utiliser à certains moments une mise en page particulière pour retranscrire des tweets. C’était tout simplement brillant, criant de réalisme. J’avais souvent le sourire aux lèvres sur ces passages, mais un sourire amer.

Pendant ma lecture, j’ai eu des envies de meurtres. Envie d’écraser ces cloportes anonymes planqués derrière leur écran dont le seul but est de faire mal, de piquer, de blesser ou parfois juste d’emmerder le monde. Finalement, on en vient à se dire, comment on en est arrivé là ? Car le destin tragique de Laure, le hashtag #OnEmbarqueAvecLaure on pourrait très bien le voir apparaître demain sur les réseaux sociaux. Suivi d’autres bien plus destructeurs. Bien sûr Miracle est une fiction, un thriller psychologique, un roman noir (très noir) sans doute, mais il est d’une justesse glaçante. Jusqu’où ira-t-on ? Mais, on y est déjà, puisqu’aujourd’hui des gamins se foutent en l’air après des semaines et des mois de harcèlement virtuel…

Tu vas faire quoi, du coup ?

En bref

Miracle est un roman inclassable. Une histoire terrifiante qui soulève tant de questions et d’émotions : la peur de la maladie, de la mort, de la solitude, la honte, le regret, la dépression, la joie, l’espoir. Miracle c’est une plongée en Enfer, une descente aux abîmes de près de 400 pages dans ce que l’humain est capable de meilleur mais aussi de pire. De ce roman, on ne ressort clairement pas indemne, mais c’est une lecture d’une qualité rare qui prend aux tripes de la première à la dernière ligne. Le final inattendu et explosif a fini de me crucifier à mon canapé.

Je recommande ce roman au plus grand nombre. Pas seulement à ceux qui sont habitués aux thrillers et aux polars, mais aussi à ceux qui ne jurent que par la littérature blanche. Solène a le don de rassembler tous les lecteurs, dans le poétique, dans le juste et dans la noirceur sourde de notre monde actuel.