qaanaaq
Roman

Qaanaaq de Mo Malø

Dans ma vie de lectrice, je n’ai finalement que peu de références concernant la littérature nordique, où tout du moins qui prend place chez nos voisins du Nord. Mes diverses tentatives avec Camilla Läckberg se sont toutes soldées par des abandons en court de lecture. C’est en grande partie l’enthousiasme d’Anaïs Serial Lectrice pour ce type de littérature (et plus particulièrement pour ce roman) qui m’a incitée à retenter l’expérience. Qaanaaq n’est pas un thriller comme les autres. S’il prend place sur les terres gelées du Groenland c’est un auteur français qui en a écrit les lignes. Ce n’est plus un secret maintenant mais je vous laisse la surprise de chercher par vous même qui se cache sous le pseudonyme de Mo Malø ;).

C’est partie pour une chronique polaire, sortez les parkas !

4ème de couverture

Dans le vaste pays blanc, l’esprit de Nanook se réveille. Le grand ours polaire, seigneur des lieux, protégera les siens. Jusqu’au bout.

Adopté à l’âge de trois ans, Qaanaaq Adriensen n’a jamais remis les pieds sur sa terre natale, le Groenland. C’est à contrecoeur que ce redoutable enquêteur de Copenhague accepte d’aller aider la police locale, démunie devant ce qui s’annonce comme la plus grande affaire criminelle du pays : quatre ouvriers de plateformes pétrolières ont été retrouvés, le corps déchiqueté. Les blessures semblent caractéristiques d’une attaque d’ours polaire. Mais depuis quand les ours crochètent-ils les portes ?

Flanqué de l’inspecteur inuit Apputiku ? grand sourire édenté et chemise ouverte par tous les temps ?, Qaanaaq va mener l’enquête au pays des chamanes, des chasseurs de phoques et du froid assassin. Et peut-être remonter ainsi jusqu’au secret de ses origines. Mo Malø est l’auteur de nombreux ouvrages, sous d’autres identités. Il vit en France. Qaanaaq est son premier roman policier.

Dépaysement garanti

Quand Qaanaaq (prononcez Hraanaaq en groenlandais) pose le pied à Nuuk capitale du Groenland, il ne se doute vraiment pas de ce qui l’attend (et nous non plus). Adopté par un couple de danois lorsqu’il n’avait que 3 ans, ce criminologue de Copenhague ne pensait pas que la terre de ses ancêtres lui réservaient autant de surprises. Si la banquise et les paysages désertiques et gelés font bien partis du paysage, c’est également une société cosmopolite qui nous est présentée ici. Les villes maritimes de ce gigantesque glaçon fourmillent de travailleurs de nationalités différentes. Ce sont les immenses plateformes pétrolières qui jalonnent les côtes qui attirent des travailleurs du monde entier en quête d’un salaire décent.

C’est avec surprise et curiosité que j’ai découvert tout un pays, toute une culture. Le début du roman m’a demandé un peu d’investissement. Durant une centaine de pages, l’auteur choisit de poser le décor, de nous présenter ce lieu de vie inconnu. Au fil des pages, je me suis laissée prendre par la main et je n’ai pas mis longtemps à m’immerger complètement dans cette communauté et ses traditions. Les inuits forment une population très attachée à leur culture ancestrale. J’ai ainsi pu apprendre énormément de choses sur l’animisme inuit mais également sur la politique indépendantiste de plus en plus forte dans le pays. En plus de nous proposer une intrigue policière singulière et palpitante (on y vient juste après), l’auteur nous offre un travail de recherche documentaire tout simplement passionnant. Ainsi, j’ai découvert à travers les différentes parties du roman la variété de paysages qui composent le Groenland : sa capitale plus petite que Rennes, ses villages inuits où la chasse à l’ours et au phoque est une tradition ancestrale et bien sûr l’immense étendue gelée de l’inlandsis, ce glacier de la taille d’un continent. Un vrai voyage qui m’a complètement submergée pendant ma lecture. J’étais parfois presque contemplative m’imaginant ces paysages si lointains au travers de l’appareil photo de Qaanaaaq.

A crime groenlandais, enquête groenlandaise…

Durant ces derniers mois, la majorité des romans policiers que j’ai pu lire prenaient place en France ou aux Etats-Unis. Dans ces pays, les méthodes d’investigations sont rapides, épaulées par de gros moyens techniques et humains. C’est une toute autre facette du métier de flic que j’ai découvert ici. Les méthodes ne sont pas du tout les mêmes, il faut faire avec les moyens du bord. Qaanaaq devra faire lui aussi abstraction de toutes les méthodes d’investigations traditionnelles qu’il utilise d’habitude à Copenhague. Ici, tout est teinté de traditions, tout le monde connait tout le monde et ces interférences transforment une « simple » enquête criminelle en une traque parfois complètement surréaliste.

Les policiers locaux, pour certains inuits, croient profondément en l’esprit de Nanook présent dans chaque ours polaire. Pour eux, ces cadavres démembrés aux organes partiellement dévorés auraient très bien pu croiser la route d’un ours, le seigneur des lieux. Mais je rappelle qu’on est quand même face à un ours qui ne laisse aucune empreinte ni trace ADN hein… Belle performance pour un animal de plusieurs centaines de kilos ! C’est donc un combat entre raison et tradition qui va se jouer au sein de l’équipe d’enquête.

Si dernièrement j’étais habituée aux histoires dont l’intrigue avance à toute vitesse, rebondissement sur rebondissement, ici j’ai pris plaisir à découvrir un polar proposant un tout autre rythme. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : on ne s’ennuie JAMAIS au court de cette lecture. Simplement le rythme de l’enquête laisse beaucoup plus de place à la psychologie des personnages mais également à la découverte des lieux. La nuit polaire, présente durant une grande partie du roman, joue également sur les repères temporels du lecteur. Le soleil n’est jamais présent et l’heure de l’action rarement évoquée. Ainsi on se laisse immerger dans une enquête nocturne et glacée sur des centaines de pages sans tenir compte du temps qui défile.

Enfuis à jamais les aurores boréales, les folles poursuites en traineau, les jeux de corde pour tromper l’ennui. Enfuies à jamais les expéditions près des agloo, ces trous percés par les phoques dans l’épaisseur de la glace, où l’entrainaient parfois ses grands cousins. Enfuis à jamais les traditions, les chants lancinants de ses ancêtres au son des katuaq. Mina n’est plus qu’une boule de terreur. Inuit sans âge ni mémoire.

En bref

Cette lecture m’a fait sortir de ma zone de confort de ces derniers mois pour mon plus grand bonheur. Ce roman est un vrai coup de coeur. Une histoire, une atmosphère que l’on n’oublie pas. Pas seulement parce que l’intrigue est passionnante et les personnages attachants mais aussi parce qu’on ressort enrichi de ce voyage sur papier. J’ai découvert un pays, une culture, des traditions et une force d’immersion que je n’aurais jamais cru possible au travers d’un livre. Il me tarde déjà de lire la suite des aventures de Qaanaaq dans Diskø qui sort ce 28 mars aux éditions de La Martinière.

coupdecoeur