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Roman

La lame de Frédéric Mars

Décidément, Frédéric Mars n’en finira jamais de m’étonner. Qu’il s’agisse de son roman « Les marcheurs » ou de ses autres parutions sous pseudonyme, cet auteur ne me déçoit jamais. A chacun de ses romans, je me demande où il va chercher des intrigues pareilles. Ses livres, ce ne sont pas des romans, ce sont toujours des épopées, des courses contre la montre, des histoires qui nous accrochent dès le prologue et nous relâchent médusés plusieurs centaines de pages plus loin. La lame, son dernier roman qui parait aujourd’hui aux éditions Métropolis, ne fait pas exception à cette règle

4ème de couverture

Dans une France proche et obscure à la cité de La Solidarité, quartiers nord de Marseille : l’officier de PJ Simon Mardikian découvre le cadavre ravagé d’une jeune prostituée noire, Joy, alias Queen, sans identité définie. Son enquête sur les réseaux mêlant drogues, migrants et traite d’êtres humains ne fait que commencer. 

Le lendemain, à Lagos, capitale du Nigéria, dans le bidonville flottant de Makoko, l’instituteur Sékou Williams tient tête au dealer Kaza qui cherche à recruter des revendeurs parmi ses élèves. Mais soudain s’abat une immense vague-submersion, dispersant des milliers de réfugiés à travers le continent africain. 

Au même moment, à l’Élysée, le président de la République Bako Jackson annonce sa candidature à sa propre réélection. Il en profite pour dévoiler le renforcement du dispositif Frontex. C’est sa fermeté sur les questions migratoires qui a valu à ce fils de pasteur nigérian de ravir le pouvoir à l’extrême droite en 2027. À peine a-t-il achevé son allocution qu’on lui annonce la catastrophe climatique de Lagos. 

Ces trois histoires ne vont pas tarder à se rencontrer, d’une manière qui pourrait bien changer le monde. Ce qui va les réunir ? Une lame, rien qu’une lame, qui déjà déferle et emporte tout sur son passage… 

Basé sur les prospectives des plus éminents spécialistes des mouvements migratoires, La Lame vous propulse dans un thriller politique haletant où les lignes entre le réel et la fiction se brouillent jusqu’à devenir une seule et même piste.

Trois histoires pour un destin

A première vue, si je vous demande d’écrire un roman intégrant dans sa trame : les problèmes politiques et familiaux du premier président noir français, un officier de police judiciaire un peu nerveux à Marseille et une catastrophe climatique au Nigéria, vous allez me répondre « Mais comment tu veux que j’écrive un truc qui soit cohérent ? ». Frédéric Mars lui est capable de le faire. Et il le fait extrêmement bien.

La lame se découpe en 3 arcs parallèles. D’un côté, nous avons Backo Jackson, d’origine nigériane, 10ème président de la Vè République française. Élu en 2027 après 5 ans d’extrême droite au pouvoir, il est surnommé le « Barack Obama français ». A quelques mois de l’ouverture de la prochaine élection présidentielle, sa campagne pour sa réélection s’avère plus chaotique que prévue… Deuxième arc de l’histoire, nous rencontrons Simon Mardikian, officier de police à la PJ Marseille. La découverte d’un cadavre à la « Soli », un des pires quartiers de la ville, va l’entraîner dans une enquête aux ramifications insoupçonnées. 3 ans après la mort de sa fille par overdose, Simon cherche toujours désespérément les coupables. Peut-être que cette plongée dans le trafic marseillais lui apportera enfin des réponses. Enfin, il y a Sékou, ce jeune instituteur à Lagos, capitale du Nigéria. Alors qu’il commence sa journée de classe, une vague-submersion s’abat sur le rivage et détruit tout sur son passage. L’exode forcé, la douleur et la peur seront ses compagnons pour les jours à venir.

L’intrigue se déroule sur une semaine. Une seule petite semaine durant laquelle ces droits destins pourtant si éloignés seront au cœur d’un bouleversement mondial. Cette histoire est d’une complexité folle et pourtant la lecture est on ne peut plus fluide. Chaque événement s’accroche au suivant à la perfection. La cohérence finale du roman est irréprochable et chaque personnage, chaque moment apporte une pierre essentielle à l’édifice. Qu’il s’agisse d’une lame provenant de l’océan, d’une lame de tarot ou encore d’une lame de couteau, chacune à leur manière forgent le cœur même de ce roman.

Un thriller d’anticipation géo-politique

2031. Cette année si proche et pourtant si lointaine. Seulement 12 petites années nous séparent des propos du roman. 2031 c’est demain. J’ai été complètement captivée par les choix géopolitiques que fait Frédéric Mars pour écrire cette histoire. Pour décrire les 11 années qui ont précédé l’année 2031 durant laquelle se déroule le récit, il a bien fallu faire des choix. C’est là, la force de ce roman, car au-delà d’une intrigue proche de la perfection, tout le cadre est extrêmement plausible. L’auteur a fait des choix qui pourraient presque s’avérer être des prédictions pour l’avenir de la vie politique et économique française. La lecture m’a laissé un sentiment très étrange, comme un cri d’alerte, la vision d’une lame de chaos qui déferle de manière inexorable sur notre futur.

Il y a un point qu’il est très important de préciser concernant ce roman. Bien qu’empreint de sujets politiques, démographiques et migratoires le livre est totalement apolitique. Ici, il n’est pas question de prendre parti, mais seulement de lire une histoire, basée sur des faits loin de tout manichéisme.

Ce roman est d’un réalisme assez fou et Frédéric Mars n’hésite pas à utiliser des éléments de notre présent pour construire son futur en 2031. J’ai souri en lisant que Léa Salamé animait toujours la matinale de France Inter dans 12 ans et que Gilles Bouleau était toujours indévissable de son siège du JT. Des petits exemples parmi tant d’autres qui donnent une grande profondeur au roman et en fond une oeuvre travaillée, complète et totalement immersive.

Sékou eut un dernier regard pour la barque menaçante, puis il jeta un œil sur ce point qu’avait désigné Kebe quelques instants plus tôt. Loin au sud. En direction de la mer. La petit voyait juste. L’horizon vibrait d’une activité étrange, à ses yeux inédite. Comme si une couche s’était intercalée entre le ciel gris et la surface métallique de l’océan.
Une couche qui venait vers eux, vite, très vite même, devancée par d’inquiétantes vibrations.

En bref

Avec Les marcheurs, Frédéric Mars nous avait déjà prouvé que le thriller politique était un registre qu’il maîtrisait excellemment bien. Dans La lame, l’auteur approfondit encore ce registre et nous livre une histoire d’une qualité magistrale. Une intrigue passionnante dans un cadre géopolitique on ne peut plus actuel. Une lecture à la fois divertissante et extrêmement enrichissante concernant la géopolitique de notre monde dans les mois et les années à venir. C’est un roman immersif, aux chapitres courts qu’il est bien difficile de lâcher une fois la première page tournée. Je recommande bien plus que chaudement ce thriller d’une très grande originalité et au travail de recherche extrêmement poussé.